Comme nous l’avons vu plus haut, la stabilisation par des éléments d’alliage permet d’obtenir à température ambiante des zircones composées de tout ou partie d’une phase quadratique métastable. Ces matériaux métastables offrent des ténacités très élevées, grâce à la transformation de phase q-m accompagnant les propagations de fissures. En effet, l’énergie requise pour propager une fissure dans un matériau contenant de la zircone métastable est augmentée si la fissure tout ou partie des contraintes mécaniques sur les grains métastables et leur permet de se transformer en phase monoclinique. Ceci ne peut se passer que sous la température T0 (q-m) (parfois aussi appelée Martensite Start, TMs). Deux descriptions équivalente du renforcement offert par la transformation en fond de fissure (appelé renforcement par transformation de phase) ont été proposées, l’une en termes énergétiques, l’autre en terme de facteur d’intensité de contrainte. Seule cette dernière sera exposée ici, le lecteur pouvant se référer au livre de Green et al.[1] pour plus de détails.
Le renforcement par transformation de phase trouve donc son origine dans la présence de contraintes de traction importantes au voisinage d’une fissure, et qui peuvent localement déstabiliser la phase quadratique, résultant dans la formation d’une zone transformée. McMeeking et Evans[2] ont développé un modèle de ce phénomène dans les années 1980, dans lequel la transformation provoquée par la contrainte provoque la superposition d’un facteur d’intensité de contrainte d’écrantage KIsh au KI appliqué. Ceci signifie que le facteur d’intensité de contrainte réel en fond de fissure est plus bas que le facteur d’intensité de contrainte appliqué par les forces externes :
(2)
Les modèles théoriques[2] et les résultats expérimentaux[3] montrent que plus le facteur d’intensité de contrainte appliqué est grand, plus la zone transformée est large, et plus l’écrantage est important, ce qui mène à l’équation bien connue (3) :
(3a)
avec :
(3b)
où E est le module
d’Young, n le coefficient de
Poisson, Vf est la fraction volumique de particules
transformables, eT est la dilatation associée à la
transformation d’une particule, et est la
contrainte locale critique provoquant la transformation q-m.
On le voit, la capacité au
renforcement par transformation de phase d’une zircone donnée dépend
directement de , qui a son tour dépend de la différence entre la
température de test et la température T0 (q-m) de la phase
transformable considérée : plus la température de test est loin de T0(q-m),
plus
sera
petite, et plus le renforcement par transformation de phase sera efficace.
Le renforcement obtenu est illustré par la figure 4, qui résume la ténacité de différentes zircones[4]. Les ténacités des zircones monoclinique et cubiques, similaires à celles du verre à vitre, montrent l’effet de renforcement obtenu grâce à la transformation de phase q-m. La ténacité décroît à mesure que le taux d’yttrium augmente. Il est possible d’expliquer ceci à l’aide des diagrammes de phase métastables vus précédemment (figure 2) : si nous supposons le frittage court et la zircone homogène, la ligne T0 (q-m) décroît quand le taux d’yttrium augmente ; ceci correspond à une différence entre T0 et la température ambiante plus faible, et donc à une force motrice pour la transformation plus faible, donc à moins de transformation lors de la propagation de fissure, donc à un renforcement plus faible. Si au contraire nous supposons le frittage suffisamment long, la microstructure se décomposera à haute température en une phase cubique riche en yttrium et une phase quadratique pauvre en yttrium, dont les compositions respectives sont indépendantes de la teneur en yttrium globale ; en revanche, plus la teneur globale en yttrium sera grande, plus le mélange de phase sera riche en phase cubique et pauvre en phase quadratique, et donc moins le renforcement par transformation de phase sera efficace. Donc, quel que soit le traitement thermique, une plus grande teneur en yttrium correspond à un renforcement plus faible.
Le diagramme de phase métastable nous permet de prédire également que le renforcement par transformation de phase ne peut opérer qu’à basse température, sous la ligne T0 (q-m), et qu’il sera obligatoirement inopérant lorsque la phase quadratique est stable.
Ces différentes raisons font préférer les zircones contenant environ 3% molaires d’yttrine (3Y-TZP), suffisamment instables pour se transformer sous contrainte, mais suffisamment métastables pour éviter la transformation spontanée au refroidissement.
[1] Green DJ, Hannink RHJ, Swain MV. 1989. Transformation toughening of ceramics, pp. 137-144. Bocca Raton, FL : CRC Press. 232 pp.
[2] McMeeking RM, Evans AG. 1982. Mechanics of transformation-toughneing in brittle materials, J. Am. Ceram. Soc. 65 [5] : 242-246
[3] Chevalier J, Olagnon C, Fantozzi, G. 1999. Subcritical crack propagation in 3Y-TZP ceramics: Static and cyclic fatigue. J. Am. Ceram. Soc. 82 (11) : 3129-3138
[4] Chevalier J, Gremillard L, Virkar AV, Clarke DR. 2009. The Tetragonal-Monoclinic Transformation in Zirconia: Lessons Learned and Future Trends, J. Am. Ceram. Soc., to be published.