La zircone yttriée étant le sujet principal de la suite de ce mémoire, nous focaliserons l’étude des diagrammes de phase de la zircone sur le diagramme Zircone – Yttrine [1].
Le premier diagramme de phase zircone – yttrine a été introduit en 1951 par Duwez[2], et raffiné à maintes reprises depuis (voir l’article de Yashima[3] en présentant les versions successives). Cette succession de révisions a deux causes principales. D’une part, la diffusion des cations dans la zircone est si lente qu’il est extrêmement long d’atteindre l’équilibre à des températures inférieures à 1400°C (figure 1). La figure 1 montre par exemple qu’il faut environ un mois pour homogénéiser la composition d’un grain de 3 µm à 1500°C. D’autre part, les caractéristiques de la transformation martensitique q-m (telles que les température MS et AF) ont encore compliqué l’interprétation des résultats. Le diagramme le plus récent[4],[5], combinant études expérimentales et modélisation est présenté sur la figure 2, ainsi que le diagramme de Scott[6] (le plus utilisé).
La diffusion des cations étant extrêmement lente, il est nécessaire d’introduire des diagrammes de phases métastables (lignes pointillées fines indiquant T0 sur la figure 2). Ces diagrammes font intervenir les lignes T0 (q-m) et T0 (c-q), qui indiquent les températures de changement de phase q-m ou c-q en fonction de la teneur en yttrium de chacune des phases en présence (et non de la teneur en yttrium globale du matériau). Ces diagrammes peuvent se comprendre comme suit. Examinons par exemple une 3Y-TZP. Nous partons d’une poudre nanométrique de composition homogène. Lors du frittage, la montée en température à 1500°C porte cette poudre au point C de la figure 2. A cette température, le digramme d’équilibre (traits pleins) donne une phase quadratique contenant 2.4 mol% d’Y2O3 et une phase cubique contenant 7.5 mol% d’Y2O3.
Si le frittage est suffisamment long (plusieurs heures, voire jours), l’équilibre sera atteint, et les phases en présence avant refroidissement seront indiquées par les points A (quadratique avec 2.4mol% de Y2O3 : q-2.4%Y2O3) et B (cubique avec 7.5mol% de Y2O3 : c-7.5%Y2O3). Etant données les vitesses de diffusion des cations Zr4+ aux températures inférieures à 1500°C, n’importe quel refroidissement réalisé en quelques heures peut être considéré comme une trempe. Les phases en présence partent donc des points A et B et suivent des lignes verticales dans le diagramme. Lorsque la température atteint environ 750°C, la ligne issue du point B croise la ligne T0 (c-q) (point E), ce qui signifie qu’avec cette teneur (7.5%) en yttrine, en dessous de 750°C la phase la plus stable est une phase quadratique. Un peu en dessous de 600°C, la ligne issue du point A croise la ligne T0 (q-m) (point D), ce qui signifie que la phase la plus stable de zircone contenant 2.4mol% d’Y2O3 devient la phase monoclinique. A température ambiante, nous devrions retrouver une phase quadratique contenant 7.5% d’yttrine et une phase monoclinique contenant 2.4% d’yttrine. Cependant, les barrières d’énergie mises en jeu lors des transformations c-q et q-m à 750°C et 600°C respectivement sont trop importantes pour être franchies, et le matériau final se retrouve dans un mélange de deux phases métastables, cubique (c-7.5% Y2O3) et quadratique (q-2.4% Y2O3). Notons que mêmes les phases les plus stables (q-7.5%Y2O3 et m-2.4% Y2O3) ne sont pas les phases d’équilibre : les phases d’équilibre sont une phase cubique contenant environ 18% d’ Y2O3 et une phase monoclinique presque sans yttrium, mais l’équilibre complet ne pourra jamais être atteint pour des temps réalistes à l’échelle humaine.
Si le frittage est très court, l’équilibre à 1500°C ne sera pas atteint, et avant refroidissement le système restera au point C, contenant donc uniquement une phase quadratique avec 3% d’yttrine. Lors du refroidissement, la diffusion étant toujours trop lente, la même composition sera conservée : le système se déplace le long de la ligne verticale issue de C. Au passage à 350°C, cette ligne croise la ligne T0 (q-m), et la phase monoclinique (m-3%Y2O3) devient plus stable que la phase quadratique (q-3%Y2O3). Cependant, encore une fois la barrière d’énergie est trop difficile à passer, et on retrouve donc une phase quadratique (q-3% Y2O3) métastable à température ambiante.
Ce diagramme de phases métastables appelle trois remarques :
- La force motrice pour la transformation d’une phase métastable formée en phase stable peut être quantifiée par la différence entre la température d’utilisation et la température T0 correspondant à cette phase : plus cette différence de température sera élevée, plus la force motrice sera également élevée. Bien sûr, ceci ne préjuge en rien de la cinétique.
- Notons que la ligne T0 (q-m) passe sous la température ambiante pour des teneurs en yttrine de l’ordre de 3.6 mol%. Au dessus de 3.6 mol% donc, la phase la plus stable d’une zircone présentant une composition homogène est bien la phase quadratique.
- Enfin, si le frittage dure suffisamment longtemps pour que les phases stables à haute température soient formées (par exemple à 1500°C : c-7.5%Y2O3 et q-2.4%Y2O3), la composition de ces phases ne dépend pas de la composition de la poudre de départ (seules leurs quantités relatives vont changer). Donc la force motrice pour la transformation non plus. Par exemple, deux zircones une zircone contenant 3% d’yttrine et une autre 4%, les deux frittées longtemps à 1500°C, présenteront toutes les deux une phase quadratique contenant 2.4% d’yttrine à température ambiante, et présenteront donc la même stabilité. En revanche, la température et le temps de frittage joueront sur la stabilité : diminuer la température de frittage permet en théorie d’augmenter la quantité d’yttrine dans les grains quadratiques à l’équilibre, et donc de diminuer la température T0 (q-m) et d’augmenter la stabilité de la phase quadratique à haute température. De même, diminuer suffisamment le temps de frittage pour éviter la « partition de phase » permet de garder plus d’yttrium dans les grains quadratiques.
[1] Chevalier J, Gremillard L, Virkar AV, Clarke DR. 2009. The Tetragonal-Monoclinic Transformation in Zirconia: Lessons Learned and Future Trends, J. Am. Ceram. Soc., to be published.
[2] Duwez P, Brown FH, Odell F. 1951. The Zirconia-Yttria System, J. Electrochem. Soc., 98 [9] : 356-362
[3] Yashima M, Kakihana M, Yoshimura M. 1996. Metastable-Stable Phase Diagrams in the Zirconia Containing Systems Utilized in Solid Oxide Fuel Cell Applications, Sol. State Ionics, 86-88 : 1131-1149
[4] Lakiza S, Fabrichnaya O, Zinkevich M, Aldinger F. 2006. On The Phase Relations in the ZrO2-YO1.5-AlO1.5 System. J. Alloys Comp., 420 : 237-245
[5] Fabrichnaya O, Aldinger F.2004. Assessment of thermodynamic parameters in the system ZrO2 - Y2O3-Al2O3. Zeitschrift für Metallkunde / Materials Research and Advanced Techniques 95 : 27-39
[6] Scott HG. 1975. Phase relationships in the zirconia-yttria system. J. Mater. Sci. 10 : 1527-35.